Nvidia dans le collimateur - La domination du géant des puces IA soulève des inquiétudes
Des groupes progressistes et une sénatrice appellent à une enquête antitrust aux États-Unis.
Le paysage de l'intelligence artificielle est en pleine effervescence, et au cœur de cette révolution technologique se trouve un acteur dominant, Nvidia. Devenue récemment la société cotée la plus valorisée au monde avec une capitalisation boursière dépassant les 3 000 milliards de dollars, elle fait l'objet d'une attention croissante de la part des régulateurs et des groupes de défense des consommateurs. La sénatrice américaine Elizabeth Warren, figure de proue du parti démocrate, a récemment rejoint plusieurs organisations progressistes pour exhorter le département de la justice (DOJ) à ouvrir une enquête sur les pratiques commerciales de l’entreprise. Ces groupes, parmi lesquels on trouve Demand Progress, Open Markets Institute et Tech Oversight Project, s'inquiètent de sa position ultra-dominante sur le marché des puces pour l'IA.
Monopole
Dans une lettre adressée à Jonathan Kanter, responsable de la division antitrust du DOJ, ces organisations soulignent que Nvidia détient actuellement 80% du marché mondial des puces GPU et 98% du marché des centres de données. Cette position hégémonique lui permettrait d'étouffer la concurrence et de dicter les prix ainsi que les conditions commerciales à l'échelle mondiale. Les inquiétudes ne se limitent pas aux États-Unis.
En Europe, les autorités françaises de la concurrence ont déjà lancé une enquête similaire le mois dernier, devenant ainsi le premier régulateur à agir contre le fabricant. L'Union Européenne et le Royaume-Uni ont également intensifié leur surveillance, mais l'absence d'enquêtes officielles pourrait, selon les groupes progressistes, encourager Nvidia à poursuivre ses pratiques contestées. Parmi les comportements présumés anticoncurrentiels, on note:
Le regroupement forcé: Nvidia obligerait ses clients à acheter ses puces, son matériel de réseau et ses logiciels de programmation en un seul package.
La fixation des prix: L'entreprise serait en mesure de fixer les prix du marché en raison de sa position dominante.
Le contrôle de l'approvisionnement: Nvidia déterminerait qui reçoit les stocks limités de puces, ce qui alarme à la fois les petites entreprises et les géants de la technologie.
Les restrictions contractuelles: Les clients de Nvidia seraient empêchés de faire affaire avec des concurrents.
Ces pratiques, si elles sont avérées, pourraient étouffer l'innovation et limiter les choix des consommateurs dans un secteur crucial pour l'avenir technologique.
NVLink
La domination de Nvidia s'étend au-delà du simple marché des puces. L'entreprise propose également NVLink, une technologie d'interconnexion qui combine plusieurs serveurs pour alimenter des applications d'IA populaires comme ChatGPT. Cette norme est devenue un élément clé de tout système de centre de données d'IA moderne, renforçant encore sa position sur le marché. Face à cette situation, certains géants de la tech comme Google, Intel, Microsoft, Meta, AMD et d'autres ont formé le groupe Ultra Accelerator Link (UALink) pour développer une nouvelle norme concurrente. Le défi reste cependant de taille face à l'avance considérable de Nvidia.
Casse-tête chinois
Autre aspect controversé de la stratégie de Nvidia, il concerne ses relations commerciales avec la Chine. Malgré les restrictions imposées par le département du commerce américain, l'entreprise continuerait de vendre des puces à des clients chinois et de leur fournir un accès à ses services de cloud computing. Ces allégations, si elles sont confirmées, pourraient avoir de sérieuses implications en termes de sécurité nationale et de droits de l'homme. Nvidia, pour sa part, maintient qu'elle respecte scrupuleusement toutes les lois et réglementations en vigueur. Un porte-parole de l'entreprise a déclaré au site Reuters que cette dernière soutient un marché compétitif et qu'elle a investi des milliards de dollars dans le développement de technologies de calcul capables de supporter l'IA avant même que la demande n'existe. Le PDG, Jensen Huang, a souligné l'importance du marché chinois pour l'entreprise, tout en reconnaissant la nécessité de respecter les réglementations en matière de sécurité nationale.
"Nous essayons de faire des affaires avec tout le monde, dans la mesure du possible", a-t-il déclaré. "D'un autre côté, notre sécurité et notre compétitivité nationales sont importantes.”
La situation de Nvidia illustre parfaitement les défis auxquels sont confrontés les régulateurs à l'ère de l'IA. Comment équilibrer la nécessité de favoriser l'innovation et la compétitivité avec le besoin de prévenir les monopoles et les pratiques anticoncurrentielles ? La réponse à cette question aura des implications profondes non seulement pour l'industrie, mais aussi pour l'ensemble de notre société, car les puces d'IA sous-tendent désormais chaque aspect de notre vie moderne, de la finance à la santé en passant par la défense.