L’année dernière, Sam Altman, PDG d’OpenAI, a demandé à Satya Nadella, son homologue chez Microsoft, si la multinationale technologique serait prête à investir des milliards supplémentaires dans sa startup. Après tout, Microsoft l’avait déjà fait auparavant à hauteur de 13 milliards de dollars. Si au départ, Nadella semblait favorable à cette idée, l’éviction temporaire d’Altman par le conseil d’administration d’OpenAI en novembre dernier a semé le doute. Depuis, la firme de Redmond a pris du recul face aux nouvelles demandes de financement, selon des sources anonymes proches des discussions. Au cours des mois suivants, OpenAI a continué de solliciter Microsoft pour plus de fonds et de puissance de calcul afin de développer ses systèmes d’intelligence artificielle. Ce dernier n’a cependant pas cédé, ce qui a exacerbé les tensions entre les deux entreprises. Cette situation met en lumière un défi majeur pour les start-ups d’IA, leur dépendance vis-à-vis des géants de la tech, tant pour l’argent que pour la puissance de calcul. Microsoft et OpenAI incarnent parfaitement cette dynamique.
Une collaboration sous pression
Lorsque Microsoft a fait son gigantesque investissement dans OpenAI, les deux entreprises avaient signé un accord d’exclusivité. OpenAI s’engageait à acheter toute sa puissance de calcul chez Microsoft et à collaborer étroitement avec la firme sur de nouveaux projets d’intelligence artificielle. Sam Altman parlait alors du partenariat comme "la meilleure bromance dans le domaine de la technologie". Cette relation semble aujourd’hui plus tendue que jamais. OpenAI, qui devrait perdre 5 milliards de dollars cette année, est sous une pression financière croissante. En parallèle, Microsoft, préoccupé par sa dépendance à l’égard des technologies de la startup, a commencé à chercher des alternatives. En mars dernier, le géant américain a déboursé au moins 650 millions de dollars pour recruter la quasi-totalité de l’équipe d’Inflection, un concurrent direct d’OpenAI. Mustafa Suleyman, ancien PDG d’Inflection, dirige désormais une équipe chez Microsoft chargée de développer des technologies d’IA basées sur celles d’OpenAI, tout en explorant des solutions alternatives.
Des tensions internes
Les frictions ne se limitent pas au niveau exécutif. Des tensions sont également apparues entre les employés des deux entreprises. Certaines critiques se sont élevées contre Suleyman, accusé d’avoir crié sur un employé d’OpenAI lors d’un appel vidéo, reprochant à la start-up de ne pas fournir des innovations assez rapidement à Microsoft. De plus, des incidents concernant le non-respect de certains protocoles de sécurité par les ingénieurs de Microsoft, comme le téléchargement de logiciels critiques sans suivre les procédures convenues, ont contribué à envenimer les relations. En parallèle, OpenAI cherche à sortir de l’exclusivité contractuelle qui l’oblige à acheter toute sa puissance de calcul chez eux. Face à l’augmentation vertigineuse des coûts, l’entreprise a entamé des discussions pour obtenir des ajustements financiers. En juin dernier, Microsoft a accepté de faire une exception dans le contrat, permettant à OpenAI de signer un accord de 10 milliards de dollars avec Oracle pour des ressources informatiques supplémentaires. Cette modification lui a permis d’accéder à des serveurs équipés de puces spécialement conçues pour l’IA.
Diversification des partenaires
En quête de nouvelles sources de financement et d’alternatives technologiques, OpenAI a également cherché à diversifier ses investisseurs. L’entreprise a courtisé des acteurs stratégiques tels qu’Apple, Nvidia et MGX, une société d’investissement technologique contrôlée par les Émirats arabes unis. Ces partenariats potentiels apporteraient non seulement des capitaux, mais aussi des avantages stratégiques. Nvidia, par exemple, conçoit les puces nécessaires au développement des technologies d’OpenAI, et MGX pourrait aider à construire de nouveaux centres de données à travers le monde. Plus récemment, la startup a clôturé une levée de fonds de 6,6 milliards de dollars, menée par Thrive Capital, avec la participation de Nvidia, MGX et d’autres investisseurs. Microsoft a également participé à ce tour de table, bien que son rôle dans le partenariat évolue désormais avec plus de prudence.
L’avenir du partenariat Microsoft-OpenAI
OpenAI prévoit de dépenser au moins 5,4 milliards de dollars en puissance de calcul d’ici fin 2024, un chiffre qui devrait exploser pour atteindre 37,5 milliards par an d’ici 2029. Il n’est malgré tout pas encore sûr que les récents ajustements apportés au partenariat avec Microsoft permettront de limiter cette envolée des coûts. Bien que des modifications aient été apportées pour alléger certaines charges, des employés d’OpenAI continuent de se plaindre du fait que Microsoft ne fournit pas suffisamment de ressources informatiques. Un élément intéressant du contrat entre les deux entreprises pourrait cependant permettre à OpenAI de sortir de cette impasse. Si elle parvenait à créer une intelligence artificielle générale (AGI), c’est-à-dire une machine aussi puissante que le cerveau humain, Microsoft perdrait son accès à leurs technologies. Cette clause avait initialement été conçue pour empêcher un mauvais usage de cette dernière par des entreprises comme Microsoft justement. Mais aujourd’hui, les dirigeants d’OpenAI y voient une opportunité de renégocier un contrat plus avantageux.
Alors que la compétition dans le domaine de l’IA s’intensifie, la relation entre OpenAI et Microsoft semble vaciller entre collaboration et rivalité. Les ajustements récents montrent que Microsoft est déterminé à rester un acteur clé de l’IA, tout en cherchant à se protéger d’une dépendance excessive à OpenAI. De son côté, cette dernière cherche à assurer sa survie et son expansion tout en réduisant ses coûts massifs. Reste à voir si cette "bromance" technologique pourra perdurer dans le temps ou si elle s’effritera sous le poids de la compétition.